Les 25 articles du Grigri les plus lus en 2019

Le Grigri est une radio qui s’écoute - ça, c’est plutôt normal, c’est même rassurant - mais c’est aussi une radio qui se lit. Et parmi la centaine d’articles parus cette année, voici vos favoris, vos préférés, vos chouchous. On vous laisse vous y replonger.

SAMPA THE GREAT

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C’est rare d’être adoubé par ses idoles, ses modèles, ses petits dieux personnels. Nous, par exemple, on attend toujours un signe de Gilles Peterson et Patrick Sébastien pour vraiment nous sentir légitimes de vivre et d’exister. Eh bien, Sampa The Great n’a pas ce problème puisqu’elle a été louée par Lauryn Hill et Kendrick Lamar. Ça tombe bien car son hip-hop surdoué se situe justement au carrefour de ces deux pôles. On en ajouterait même un troisième - si on peut se permettre (bon, c’est notre radio, on fait ce qu’on veut, mais toujours dans le respect d’autrui et de la langue française): dans le flow lumineux, chantant et parsemé d’accents ragga comme dans les références au rap des 90’s, on pense aussi parfois à Mos Def. Et allez, parce qu’on fait vraiment ce qu’on veut, on placerait même le nom d’Erykah Badu pour les séquences nu-soul bien placées. Bref, ce qui marque surtout dans ce premier vrai album de la future nouvelle star du hip-hop mondial (rendez-vous dans dix ans même jour, même heure), c’est son éclectisme à outrance.

Car chacune des dix-neuf pistes de The Return explore une nouvelle piste sonique, des très soul/r’n’b “Leading Us Home” et “Summer” aux plus rentre-dedans et profondément rap “Time’s Up” et “Dare To Fly”. Et à chaque fois, c’est une masterclass. Il faut dire que la Zambienne installée à Sidney sait bien s’entourer puisqu’on retrouve sur The Return des éléments de la nouvelle scène jazz australienne dont on vous parlait récemment (Clever Austin, Silentjay) ou le toujours inspiré et inspirant Jonwayne. Disque qui passe son temps à flouter les frontières entre les aires de la Great Black Music, ce baptême de feu de Sampa The Great symbolise à merveille la philosophie du Grigri.

LES MAUX DOUX DE VINCENT COURTOIS

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Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Vincent Courtois, c’est l’un des types les plus inspirants de la scène improvisée européenne. Ses projets ont toujours quelque chose de cinématographique et/ou de théâtral. Bref, ce violoncelliste qui a été un des premiers à donner sa chance à Jeanne Added par exemple ne fait pas des albums juste pour faire des albums: il y a toujours une histoire, un concept, une expérience en jeu. Les Démons de Tosca, c’est un laboratoire improvisé et tournant autour du fameux opéra du Puccini et de la notion flottante d’inspiration. Comment un artiste trouve-t-il l’inspiration? Comment se sent-il à un moment ou un autre habité par quelque chose qui le dépasse? Beau et impressionnant, le disque sortira le 24 mai sur le passionnant label hongrois BMC Records. Mais pour Le Grigri et rien que pour Le Grigri, Vincent Courtois a accepté de révéler en avant-première un extrait, “Des maux de tous les jours”. Six minutes de montagnes russes portées par les pizzicatis du maestro, le sax possédé de Robin Fincker et la batterie impétueuse de Seb Brun. Comme un court métrage sonique avec drame, chute et résolution.

LA PORSCHE 944 DE LAURENT BARDAINNE

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Laurent Bardainne aime divaguer et digresser sur les bagnoles. De préférence plutôt classes et vintage, tout comme sa musique. Et de préférence quand elles roulent juste pour le plaisir de la route, du chemin, du dépaysement. Saxophoniste et co-fondateur de Limousine depuis des lustres (leur premier album date de 2005, à l’époque le président de la Gaule s’appelait Jacques Chirac, c’est vous dire), le voici qui célèbre la Porsche 944 avec l’un de ses nouveaux projets, Tigre d’Eau Douce.

Un quartet de free tropical, qui oscille entre feulements, poutous et coups de rein, où l’on retrouve l’orgue d’Arnaud Roulin, la basse de Bruno Chevillon et la batterie de Philippe Gleizes. Un quartet qui joue en transpirant tranquillement et en pensant très fort aux esprits du Wu-Tang, d’Albert Ayler, de Mulatu Astatké ou de Marvin Gaye. Bref, vous l’aurez compris, un quartet absolument Grigri jusqu’au bout des griffes. D’ailleurs, leur premier single, “Marvin”, faisait partie des titres chouchous des auditeurs de la radio dans la dernière happy hour (qu’on vous rediffuse lundi prochain d’ailleurs).

C’est donc un plaisir, une joie et une évidence de vous présenter avant tout le monde le tout nouveau thème de ce groupe émulateur de chaleur. La divulgation de ce “Porsche 944” annonce aussi la venue d’un EP quatre titres pour la fin du mois sur le label Heavenly Sweetness (celui-là même de Guts ou d’Anthony Joseph). On y découvrira notamment un remix de “Marvin” réalisé par The Vibe Drops (Emcee G Roc Gayle & Moar) Quant au LP, il se murmure qu’il devrait débarquer au printemps 2020. On a lancé le compte à rebours sur notre téléphone à côté de l’application du Grigri.

LES EXPÉRIENCES COSMIQUES D'ANGEL BAT DAWID

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Après Makaya McCraven ou Ben LaMar Gay, c'est la nouvelle pépite du génial label de Chicago, International Anthem. Clarinettiste, improvisatrice, chanteuse et même vendeuse de disques le dimanche chez Hyde Park Records, Angel Bat Dawid a imaginé son premier album, The Oracle, comme un intense journal intime fait de (doux) bric et de (fou) broc. Dans une entreprise quasi solitaire (Asher Simiso Gamedze à la batterie sur un titre), l'Américaine explore une piste par morceau, entre free intimiste et folk mystique. On est donc tout fiers et tout excités de diffuser en avant-première le splendide "London" toutes les heures à partir d'aujourd'hui 16h.

GEORGIA ANNE MULDROW

Dix-huitième album, dix-septième réussite. Georgia Anne Muldrow est comme Roger Federer: y a très peu déchet dans son jeu. Quelques mois à peine après la parenthèse r’n’b Overload, la Californienne revient à ce qu’elle aime le plus au monde: sculpter des prods instrumentales, cosmiques et expé, funk et hip-hop, lumineuses mais menaçantes, bien tarabiscotées et gravement inspirantes. D’ailleurs Vweto, le titre de cet album signifie gravité en swahili. Comme une manière de rappeler que la composition, c’est une chose sérieuse, c’est son beau souci, c’est l’affaire qui l’agite. Le gros truc qui lui permet de garder les pieds sur terre. Adoubée, admirée et révérée par une bonne légion de gens surpuissants (Mos Def, Madlib, Blood Orange, Flying Lotus, Ali Shaheed Muhammad d’A Tribe Called Quest...), l’Américaine fait partie de ces artistes qui ont la création maniaque. Elle ne s’arrête jamais. Car, c’est bien connu: l’écriture, c’est comme l’appétit, ça s’auto-excite. Cet album, c’est comme si Georgia Anne Muldrow avait réalisé des centaines expériences de transmutation sur un petit animal qu’on nomme Funk ou Fonk et qu’elle nous livrait les plus marquantes. Vweto II, c’est son passionnant journal de laboratoire.

LES NERVEUSES MÉLODIES DE THÉO GIRARD

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C’est une petite bombe, pacifique bien évidemment, que s’apprête à lancer sur la planète ce dictateur de la mélodie flottante qu’est Théo Girard. Prévu pour le 23 août prochain, Bulle concentre hymnes enveloppants à la Charlie Haden, textures frottantes à la Ornette Coleman, rythmes rentre-dedans propres à Seb Rochford, le batteur du groupe, par ailleurs pionnier de la nouvelle scène anglaise - sans son Polar Bear ou son Acoustic Ladyland, Shabaka et consorts n’existeraient pas. Deux ans après le déjà très réussi 30Years From en trio, le contrebassiste fondateur de l’inspirant label Discobole muscle son jeu et passe en mode quartet pour raconter ses histoires sans paroles faussement bancales et vraiment tournoyantes. Pour Le Grigri, il a accepté de révéler en avant-première un titre au nom évocateur, “Rototown”. Pour l’occasion, on le diffuse toutes les heures à partir de midi ce mardi 9 juillet. Le pitch? Une sorte de mise en sons d’une ville de dessin animé des Looney Toons où les personnages passent leur temps à se courir les uns après les autres. Sauf qu’ici, ce sont la trompette d’Antoine Berjeaut et le saxophone de Basile Naudet qui endossent les rôles de Titi et Gros Minet ou Bip Bip et le Coyote. Première live de cette course-poursuite emballante, le 5 septembre à Jazz à La Villette.

LA DREAM TEAM ANGLAISE DE SARAH TANDY

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Il y a beaucoup de clichés qui courent sur la nouvelle vague du jazz anglais. Tantôt, ça leur sert, tantôt ça leur dessert. Ce qui est fort avec ce premier album de la pianiste Sarah Tandy, c’est qu’il va tordre le cou aux clichés jusqu’à plus soif - ça ne se dit peut-être pas, mais ça a de la gueule cette accumulation d’expressions ambidextres. Certains disent parfois que les Britons ne font pas vraiment du jazz? Eh bien Sarah Tandy propose du jazz, du vrai, du tatoué, une sorte de PACS entre post-bop carabiné et fusion élancée. D’autres y voient un effet de mode? Eh bien, le dispositif Jazz Re:freshed à l’initiative de ce disque (comme de celui du surpuissant 1000 Kings il y a quelques mois) existe depuis 2003, ce qui en ferait une mode vraiment très longue. Des gens y voient une construction journalistique? Eh bien sur le long terme, on se rend compte que chacun joue avec tout le monde, comme des araignées éloignées tissant une même toile. La preuve: sur Infection In The Sentence, on retrouve le batteur d’Ezra Collective (Femi Koleoso), deux membres de Kokoroko (la trompette de Sheila Maurice Grey et la basse de Mutale Chashi) et le saxophoniste de Binker & Moses (Binker Golding). On est donc pas mécontents de diffuser en avant-première mondiale un extrait de ce disque bouffeur de clichés. Ça tombe bien, "Light/Weight" et son ambiance faussement décontractée est notre morceau préféré de Infection In The Sentence dont la sortie officielle est prévue pour ce vendredi 8 mars.

"DOING THE THINGS" DE LOUIS COLE

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Juste après le concert de sortie de son addictif Time à Los Angeles l’an dernier, le batteur-chanteur le plus nineties de la scène jazz-soul a ressemblé son groupe de potes dans une grande maison pour le fun. On y trouvait des lunettes trop larges, la basse de Sam Wilkes, des pulls trop larges, le saxophone de Ben Wendel, des t-shirts trop larges ou encore sa complice dans Knower, Genevieve Artadi. Résultat, toute cette petite bande s’est amusée à faire des live faussement à l’arrache, des “live sesh” (sesh signifiant session, comme on parle d’une session de surf ou de skate). Filmé là encore par des amis, le tout s’est retrouvé à (légitimement) faire le buzz sur Youtube ( et ). Comme une manière pour Louis Cole d’annoncer ses dates en big band (le 16 juillet à Jazz à Sète ou le 24 août à Rock en Seine).

Eh bien la bonne nouvelle, c’est que le label du garçon, Brainfeeder, vient d’annoncer que ces sessions sortiront en disque avec quelques autres inédits, dont une version instrumentale du fameux “When You're Ugly”. Le premier extrait où l’Américain joue de presque tous les instruments nous a donné vachement faim. Et pas seulement à cause du t-shirt vantant les mérites de la gaufre, ce don de dieu belge. Car la morale du morceau est la suivante: running a marathon for the free snacks. Courir un marathon pour les petites saloperies qui sont offertes à l’arrivée. Ça ne nous serait jamais passé par l’esprit. Il n’y a que Louis Cole pour nous coller cette idée dans la tête toute la journée.

JAIMIE BRANCH

Emouvant, fou, drôle, frondeur, effrayant, le nouvel album de la trompettiste Jaimie Branch est tout ça à la fois. Membre éminente et électrique de la très fertile scène de Chicago aux côtés de Makaya McCraven, Angel Bat Dawid, Resavoir ou Damon Locks, la jeune femme fait comme ses collègues en 2019: un chef-d’oeuvre. Sorti il y a à peine deux ans, le premier tome de son quartet Fly or Die nous avait déjà bien impressionnés par sa capacité à faire péter les digues du free jazz avec un esprit pop surtout pas putassier. Au contraire même: la pop selon Jaimie Branch est un terrain d’expérimentations comme un autre et si son free est classe, sa pop est punk. Son espace de jeu, c’est le terrain miné, d’où le blaze de son band, Vole ou Crève. Une devise qui rappelle le fameux « it's better to burn out than to fade away » (« il vaut mieux brûler franchement que s'éteindre à petit feu ») de Neil Young.

Et avec cet épisode 2 enregistré live lors de sa dernière tournée européenne, Jaimie Branch continue de brûler franchement son jazz par les deux bouts, bien aidée par les cris du public qui semblent la pousser comme un stade galvanise une athlète. Parfois, on pense à Mingus, dans cette maîtrise de la rage, dans cet engagement franc, éclatant, sophistiqué, dans ces échanges fiévreux entre basse et trompette (cf. l’incroyable vrai-faux blues de plus de dix minutes, “prayer for amerikkka pt. 1 & 2”). Parfois, on retrouve l’esprit de l’Art Ensemble of Chicago, autre groupe capable de brouiller les frontières entre free et pop - intuition confirmée par le très court “lesterlude”, possible clin d’oeil à Lester Bowie. Parfois, il y a aussi quelque chose de Marc Ribot, dans cet éclectisme DIY, dans ces chansons qui ne veulent jamais s’arrêter sur un genre comme une roue de la fortune volontairement indécise.

Mais le plus important, c’est que la trompettiste-chanteuse-militante de Chicago affirme surtout ici le style “Jaimie Branch”. Un style atypique à l’image de la formation de son groupe: violoncelle (Lester St. Louis) contrebasse (Jason Ajemian), batterie (Chad Taylor). Un style fait de transe, de brillance et de contraires. Un style vestimentaire aussi, puisque cette jazzwoman a des allures de fan de Cypress Hill - les fringues, c’est une seconde peau qui permet (ou empêche) de ne pas jouer comme les autres. Un style peut-être totalement résumé dans le génial morceau de clôture: une magnifique “Love Song” dédiée à tous les “assholes and clowns” de la planète. Ils se reconnaîtront dit-elle avec sa voix timidement enrouée. Bref, FLY or DIE II: bird dogs of paradise, c’est le grand disque jazz sur la colère qu’on attendait depuis un bail.

THE COMET IS COMING

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S’il y a bien un mot qui convient à The Comet is Coming, c’est bien celui de trip. Déjà, parce qu’on peut dire que c’est le trip jazz-électro (voire électro-jazz même) du saxophoniste-clé de la scène anglaise, Shabaka Hutchings, avec le duo Soccer 96 (Dan Leavers et Max Hallett). Et puis parce que cette musique appelle aux trips en tous genres. Elle peut donner envie de se droguer comme de danser, de danser et de se droguer, de droguer puis de danser, de danser en se droguant, de se droguer en dansant. De danser mais de dire non à la drogue, de se droguer mais de dire non à la danse. Car malgré son enrobage synthétique à mi-chemin entre le krautrock le plus old school et le dubstep le plus poisseux, la musique de The Comet is Coming peut s’écouter assis, se méditer couché ou se réfléchir debout. Le trip, on le trouve aussi dans l’imaginaire du groupe, psychédélique et afro-futuriste, entre Pink Floyd et Sun Ra, entre Kubrick et Star Trek. Premier album du trio pour le prestigieux label Impulse, Trust In The Lifeforce Of The Deep Mystery perpétue la tradition des oeuvres rentre-dedans de The Comet: un saxophone déchaîné dont le grain envoie le lounge valdinguer à des années-lumières, des synthés enveloppants mais coups de poing, une batterie à fond les ballons. Avec peut-être plus de rondeurs que par le passé (cf. le très spiritual jazz "Unity"), ce second LP du trio multiplie les moments de bravoure à te faire te péter le crâne sur le comptoir: "Super Zodiac", "Summon The Fire" ou encore "Timewave Zero". Sans oublier les huit minutes intersidérales avec la poétesse Kate Tempest ("Blood of The Past"). Bref, plus qu’un grand disque: un gros disque taillé autant pour les clubs de jazz que pour les clubs discothèques.

"ASSEZ PLEURÉ" DE LOS FANTASIOS

C'était il y a un peu plus de trois ans. À l'époque, Bongo Joe était plus un magasin de disques genevois qu'un label réputé. Mais à partir de cette troisième sortie de leur catalogue, les Suisse sont devenus une place forte pour les pépites des folklores du monde entier - depuis ils ont aidé à faire connaître Altin Gün, PIxvae, Mauskovic Dance Band, Damily… Tout comme ils ont participé à nous rappeler au bon souvenir de Max Cilla, Walter Gavitt Ferguson ou Alain Peters.

Cette fameuse sortie, c'est la compilation Soul Sega Sa!, un passionnant aperçu de la diversité du sega, la musique traditionnelle des îles de l'Océan Indien, de La Réunion aux Seychelles en passant par l'Île Maurice. Chant et danse des esclaves déportés d'Afrique et de Madagascar pour cultiver le café puis la canne au XVIIIe siècle, le sega n'a cessé de muter, de s'hybrider, de se créoliser: au contact des vieilles traditions européennes (quadrilles, valses, polkas, mazurkas…), tout comme des nouveaux sons anglo-saxons (jazz, rock…). Résultat, les pépites rassemblées par Bongo Joe révélaient une incroyable diversité, comme dans un beau bal psyché.

Alors évidemment, l'annonce d'un tome 2 de Soul Sega Sa! prévu pour le 6 décembre prochain a des allures de cadeau de Noël. Si on y retrouvera des piliers déjà présents sur le premier épisode (Claudio, Michel Legris, Ti L'Afrique), on y fera aussi des belles découvertes, à commencer par ce "Assez Pleuré" de Los Fantasios. Un morceau qui nous fait comprendre pourquoi on considère le sega comme l'ancêtre du fameux maloya. On y retrouve aussi la beauté de la guitare foutraque d'Axel Tremoulu, l'un des musiciens-clés de la grande époque du sega des seventies. Ainsi que la voix culte et émouvante de Michel Adélaïde disparu il y a trente ans. Ah l'inflexion des voix chères qui se sont tues…

ABSTRACT ORCHESTRA

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Quand on est fan de Madvillainy (comme sans doute 93,4% des auditeurs et des membres du Grigri), on l’a tellement essoré qu’on est tout content de le réécouter à neuf. Grâce aux Anglais de l’Abstract Orchestra, ce fantasme devient réalité: c’est presque si on découvrait pour la première fois l’indépassable chef-d’oeuvre de MF DOOM et Madlib en 2004. 16-piece ensemble comme le dit la langue de Shakespeare de manière bien plus cool que notre français “orchestre de 16 musiciens”, ce big band de Leeds se fait plaisir en dynamitant à grands coups de cuivres et de flûtes les standards que sont “Meat Grinder”, “Figaro” ou “Rainbows”. Une manière de rappeler la richesse, la précision et l’érudition du travail de Madlib sur le disque original. Les samples originaux de Lonnie Smith, Zappa, James Brown ou Maria Bethânia deviennent ainsi un terrain de jeu magnifique pour les relectures instrumentales de la bande à Rob Mitchell. Et puis, petit bonus pas dégueu à ce tome 2 (après le déjà très réussi épisode 1 l’an dernier): la voix de MF DOOM sur une classieuse version du “Air” de Dabrye. Bref, on applaudit des deux mains en sifflant vigoureusement notre contentement.

LA TURQUIE PSYCHÉDÉLIQUE DE DERYA YILDIRIM & GRUP ŞIMŞEK

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Ils avaient fait sensation en 2017 avec Nem Kaldi. Ils nous avaient bien teasé le tympan l’an dernier avec le single Oy Oy Emine. Derya Yıldırım & Grup Şimşek débarquent enfin en ce printemps européen avec leur premier album, Kar Yağar (qui signifie paradoxalement chutes de neige). Prévu pour le 24 mai sur le toujours inspiré label suisse Bongo Joe, il regorge de grooves tranquilles à mi-chemin entre le folklore synthétique et la funk orientale. En exclusivité pour Le Grigri, ils nous offrent un extrait encore jamais révélé: le vibrionnant “Bir Kardeşim” qui sonne comme si Alain Goraguer avait composé la B.O. de La Planète Sauvage en Turquie. Un exemple parfait des concordances qui existent entre la voix séraphique de Derya Yıldırım et le psychédélisme à la cool des Franco-Anglo-Allemands de Grup Şimşek. À découvrir en boucle sur la radio porte-bonheur à partir de 12h.

WILMA VRITRA

L’habit ne fait pas le moine. On nous le dit souvent, mais c’est quand on y est confronté qu’on saisit véritablement ce vénérable ode à la suspicion. Car derrière ce sympathique canard défoncé sur fond rose bonbon sucé se cache en réalité un disque au spleen enveloppant, aux productions mi-électro de jeux vidéo, mi-guitare de blues foutraque - parfois même presque jazz-fusion (sur “earnie”, “Over Girls”, “Black is The Bueaty” ou “Weather Machine”). Et puis, derrière ce nom de rappeur chelou - Wilma Vritra - se dissimule en fait un duo transatlantique qui a composé sa musique à grands coups d’allers-retours par mails: à notre gauche Wilma Archer, producteur et guitariste anglais; à notre droite Pyramid Vritra, ex-membre du très successful collectif californien Odd Future aux côtés de Tyler, The Creator, Earl Sweatshirt ou Frank Ocean. L’une des forces émotives de Burd, c’est qu’il arrive après une grosse période de dépression pour l’Américain. De ce mal, le garçon tire des fleurs de rap complètement capiteuses. Aux antipodes du hip-hop formaté, le disque ressemble du coup à un journal intime écrit à quatre mains. D’où son côté forcément DIY et délicieusement versatile.

LA COLOMBIE SENS DESSUS DESSOUS DE PIXVAE

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Tout d’abord, on se rassure: oui, le nouvel album de Pixvae s’appelle bien Cali. Mais il n’a rien à avoir avec l’horrible chanteur qui cherche le bonheur et l’amour dans toutes ses chansons. Cali, c’est plutôt une ville de Colombie où la bande du saxophoniste Romain Dugelay a été chercher l’inspiration pour donner un successeur au très réussi album éponyme de 2016. Et comme on les aime et comme ils nous aiment (du moins on espère… du moins, on croit… du moins on a l’impression, mais vous savez l’amour, le bonheur c’est si subjectif, argh on n’aurait pas dû penser à Cali). Bref, ils nous offrent en avant-première planétaire l’entêtant morceau de clôture de ce fameux Cali. Baptisé “La Cancion del Camino” (la chanson du chemin en VF, pas besoin de nous remercier on a le bilinguisme dans le sang), il symbolise bien l’esthétique hybride de ce groupe pas comme les autres: d’un côté les harmonies vocales traditionnelles de Colombie, de l’autre le jazz-noise éprouvé depuis des années par le trio sax-grate-batterie à l’origine du groupe, Kouma. Un mélange qui gratte et qui masse à la fois. Comme Le Grigri, quoi.

DAMON LOCKS

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Quelle claque… On ne l’avait pas vu venir Where Future Unfolds. Et on n’est pas prêt de l’épuiser. Car imaginé par l’artiste de Chicago Damon Locks (celui-là même qui avait fait la pochette du Universal Beings de Makaya McCraven), ce disque monument ressemble à un film. Non pas à un biopic formaté, plutôt à une expérience activiste comme Godard savait si bien le faire à une époque (remember le One plus one / Sympathy for the devil avec les Stones et les Black Panthers). D’ailleurs, le garçon lui-même ne l’avait pas vu venir ce Black Monument Ensemble puisque le projet était à l’origine un solo fait de discours du mouvement des droits civiques et de collages électroniques. En novembre dernier, Damon Locks s’est entouré de musiciens (comme notre clarinettiste chicagoanne préférée, Angel Bat Dawid), de chanteurs et de danseurs pour donner une ampleur renversante à son oeuvre. Mix éblouissant entre free jazz, gospel et transe (qu’elle soit acoustique ou électronique), Where Future Unfolds évoque tous ces grands orchestres de Chicago qui - de Philip Cohran & The Artistic Heritage Ensemble à l’Art Ensemble - gueulent, bercent, dérangent, enivrent et câlinent dans un même geste. La classe américaine.

NAÏSSAM JALAL

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Quest of The Invisible, c’est le genre d’album que l’on écoute en retenant son souffle. Car il joue tellement avec les grands silences, les doux frottements et les points de suspension qu’on aurait peur de l’abîmer en respirant trop fort. Rien que d’en parler, on se sent déjà impie - tant le disque se plaît à tourner autour de l’indicible et des notions de temps, de songe ou de prière. Ça faisait un petit bout de temps qu’on sentait qu’il coulait dans les veines de Naïssam Jalal l’ADN d’un chef-d’oeuvre. Avec ce double album en trio (voire en quartet avec la présence de l’immense batteur Hamid Drake sur quelques titres), la flûtiste franco-syrienne sort le grand jeu du minimalisme habité. Gorgé de spiritual jazz ou de musiques mystiques indiennes ou arabes, Quest of The Invisible est un splendide disque syncrétique où les notes n’ont pas de patrie. Porté par les lignes claires de Claude Tchamitchian (contrebasse) et Leonardo Montana (piano), le disque de Naïssam Jalal pourrait être né à Cuba, en Norvège ou Pakistan que ce serait la même. C’est à ça qu’on reconnaît les oeuvres véritablement universelles où l’esprit transcende la lettre.

CHRISTIAN SCOTT ATUNDE ADJUAH

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Point de préliminaires: Ancestral Recall est un putain de chef-d’oeuvre, le meilleur disque de Christian Scott de toute sa vie. Le meilleur disque de l’année jazz. Et sans doute le meilleur disque de l’histoire des disques de la semaine du Grigri (bon, là, on risque de se faire engueuler, mais vous savez ce que c’est le lundi, hein, il faut se réveiller à coup de vodka ou d’hyperbole, et l’hyperbole c’est moins cher et moins douloureux sur le moyen terme). Il y a cinqu raisons à cet enthousiasme.

1/ C’est le printemps et nos hormones nous font croire que l’hiver est un mauvais souvenir.

2/ Le trompettiste américain fait partie de cette rare caste de gens qui, en changeant de nom, ont bonifié leur musique (pensez à Prince, Christine and The Queens ou Puff Daddy et transpirez à grosses gouttes). Lui, depuis qu’il se fait appeler Christian Scott aTunde Adjuah, chaque album rend ringard le précédent.

3/ Invité sur trois titres, Saul Williams vit comme une résurrection sur cet album, ça faisait longtemps qu’il ne nous avait pas filé une chair de poule de cette intensité.

4/ Christian Scott prouve avec cet album qu’il est sans doute le seul jazzman à avoir vraiment digéré les textures à la Radiohead sans les singer. Résultat, Ancestral Recall sonne parfois comme si Kid A/Amnesiac avait été enregistré à La Nouvelle-Orléans pour servir de B.O. à Breaking Bad.

5/ Grâce à lui, on se sent bel et bien une radio-porte bonheur: exister à une époque où à la claque Ambrose Akinmusire suivent les claques Makaya McCraven, Shabaka Hutchings ou Christian Scott, c’est ce qu’on appelle avoir le cul bordé de nouilles aux crevettes sauce samouraï.

ON A PERDU NOTRE GRIS-GRIS

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Ça nous fait tout bizarre. Et surtout ça nous fait de la peine: fêter l’anniversaire du Grigri le 16 juin prochain en sachant que Dr. John n’est plus de ce monde. Car ce pianiste-chanteur de La Nouvelle-Orléans représentait à lui tout seul une grande partie de l’âme de la radio. Car il était à la fois groove, fêtard, blues, perché, funk, poisseux, drôle, coloré, trippé, jazz, dopé, soul, vaudou, psyché… Bref, il représentait une certaine conception de la musique qui se fout du flacon pourvu que l’ivresse soit au rendez-vous. Et puis bien sûr, c’est lui qui nous a baptisés. Ce n’est pas rien un nom. Et on peut vous dire qu’on s’est creusé à la cervelle jusqu’à plus soif pour trouver le meilleur blaze de radio possible. Sorti en 1968, Gris-Gris est tout bonnement l’un des chefs-d’oeuvre du monsieur. Un chef-d’oeuvre inquiétant, louche, interlope porté par un morceau d’ouverture qui fut longtemps la signature de notre radio: “Gris-Gris Gumbo Ya Ya” où le Néo-Orléanais se présente comme un sorcier maître du bayou. Il s’y définit aussi comme un voyageur de la nuit, un night tripper, le sous-titre officiel du disque. Night Tripper, c’était le nom originel du UFO, ce légendaire club de Londres à l’origine de la culture psychédélique, là où ont débuté Pink Floyd ou Soft Machine. Il a dû encore en parrainer des centaines et des centaines de projets. Il en parrainera encore beaucoup, on est en sûrs. Et à notre échelle, on essayera d’y participer en continuant de transmettre sa musique porte-bonheur et/ou maléfique. À commencer par aujourd’hui où chaque heure débutera sur Le Grigri par l’une de ses chansons dingues.

THA GOD FAHIM OU LE HIP-HOP COMPLÈTEMENT À L'EST

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Tha God Fahim, c’est le genre de type qui voit les choses en grand, voire en très, très grand: dans son nom de scène, il y a quand même le mot dieu - ce qui n'est pas rien, vous en conviendrez. Et puis la pochette de son nouvel album, Star Truth, est à mi-chemin entre le blockbuster avec Ben Affleck ou Bruce Willis ou le 2001, L’Odyssée de l’Espace de Kubrick - là encore une certaine définition de la divinité. Autre preuve: le rappeur d'Atlanta fait partie de cette catégorie d'artistes qu'on appelle les stakhanovistes, c'est-à-dire des gens qui ne peuvent s'empêcher de créer en masse. Pour s'y retrouver dans sa gargantuesque discographie, il faut avoir beaucoup de temps, beaucoup de volonté et très peu de vie sociale. L'an dernier, les gars de Bandcamp ont même fait un guide pour aider les auditeurs à s’y retrouver parmi les 70 mixtapes qu’ils hébergeaient. Tha God Fahim, c’est un rappeur qui pourrait faire le lien entre Kanye West (pour la haute estime de soi, les instrus jazz et le flow mélodieux) et le Wu-Tang Clan (pour l'amour des arts martiaux, la East Coast chevillée à l'âme et la cinéphilie populaire). On a donc le torse bien bombé à l'idée de diffuser en avant-première sur Le Grigri un extrait de ce Star Truth qui sortira le 15 mars sur le label parisien Efficiensz - des gens de goût puisqu’ils avaient déjà hébergé le Finesse The Goofy de Camoflauge Monk, un pote de Tha God Fahim et un ancien disque de la semaine du Grigri. C’est toujours beau de voir les grands esprits se rencontrer.

SERGE TEYSSOT-GAY & KHALED ALJARAMANI

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Ça faisait de plus de cinq ans que ce duo n’avait plus rien sorti. Et quand on écoute Kan Ya Ma Kan, on se dit que c’est à la fois dommage et salvateur. Dommage car le disque est d’une telle beauté, d’une telle intensité, d’une telle spiritualité qu’on aurait aimé avoir plus souvent des nouvelles de Serge Teyssot-Gay & Khaled Aljaramani. Mais de l’autre côté, c’est sans doute aussi parce que leur rencontre est rare qu’elle est aussi précieuse. D’autant que toute la philosophie de ce Kan Ya Ma Kan se construit sur le minimalisme, le less is more, le sobre - ce n’est pas un hasard s’ils reprennent ici le maître du genre, Erik Satie. Dialogue de cordes entre la guitare électrique et le oud, Interzone a toujours cherché à construire un monde qui transcende les clichés et les oppositions faciles entre Orient et Occident. A tout ça, il faut ajouter le chant poignant de Khaled Aljaramani qui pourrait faire frissonner même Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan. Ou presque. Bref, un disque qui pourrait faire pleurer des pierres.

CSABA PALOTAÏ, STEVE ARGÜELLES & RÉMI SCIUTO

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Quand on a créé Le Grigri il y a un peu plus de neuf mois, on voulait évidemment prendre des gens comme Christian Scott ou The Comet is Coming comme trampolines. Mais on voulait aussi et surtout servir de trampoline pour des artistes moins connus, des musicien(ne)s qui aiment bien l’ombre, des personnalités qui n’ont pas l’habitude de faire la une des magazines/webzines. Complice d’Emily Loizeau, Thomas de Pourquery ou John Parish, le Hongrois Csaba Palotaï tombe pile poil dans cette catégorie d’outsider magnifique. Voilà des années qu’il enchaîne les grands albums à la mélancolie cabossée sans recevoir la reconnaissance qu’il mérite. La preuve encore avec ce splendide Antiquity sorti en quasi catimini il y a quelques semaines déjà. Étonnant car il a tout pour plaire: des mélodies renversantes, un invité de gros calibre (le violoncelle de Vincent Ségal), des ambiances ultra cinématographiques, un format parfait pour alterner instants en suspension et montées à réaction (guitare électrique, saxophone, batterie), une pochette bien foutue…. Et puis, toujours sur le fil du rasoir entre le limpide et le trouble, le jazz et le rock, le jour et la nuit, la guitare de Csaba Palotaï prend même sur cet album des accents africains qui ajoutent encore une nouvelle nuance à sa palette. Un album parfait de A à Z, à découvrir lundi prochain (8 avril) au festival Banlieues Bleues à Pantin.

CHEICK TIDIANE SECK

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Les albums-hommage, ça peut être chiant comme un match de l’équipe de France de rugby. Mais ça peut être aussi fou comme un Tottenham-Bayern en Champions League. Si Timbuktu, The Music of Randy Weston est intronisé disque de la semaine du Grigri, vous vous doutez bien qu’il penche plutôt du bon côté de la Force, celui qui fait plus rêver que somnoler. Et ce, pour plusieurs raisons qu’on va se faire un plaisir de lister parce qu’on aime les listes autant que les comparaisons sportives et les tournées générales:

  1. C’est le premier véritable hommage rendu à Randy Weston, immense pianiste pionnier des échanges entre jazz et musiques gnawa. Disparu il y a un an, l’homme a fait partie de ceux qui ont façonné le fameux spiritual jazz dont toute une génération se réclame aujourd’hui.

  2. Cheick Tidiane Seck était vraiment ami avec Randy Weston, ce n’est donc pas un tribute d’un type en manque d’idée, mais une sorte de messe dédiée à un être cher, à l’image du morceau d’ouverture où le pianiste malien fait une intro pleine de tendresse.

  3. Hommage ne veut pas dire muséification et Cheick Tidiane Seck se sert des thème intemporels de son aîné (“Niger Mambo”, “Ganawa (Blues Moses)” “African Songbook”) comme de grandes cours de re-création. Il étire, accélère et temporise les mélodies comme Hitchcock le ferait avec le suspense. Sa version de “In Memory Of” (morceau culte samplé en son temps par Prodigy) est tellement blues qu’elle sonne comme un pacte avec le diable signé des deux mains.

  4. Manu Dibango, autre maître de l’afro-jazz, est invité sur deux morceaux à rebondissements (“Timbuktu”, “African Cookbook”). Et, à 85 piges, le Camerounais semble habité comme rarement.

  5. Sur le dernier morceau, la seule composition du disque, “Mr Randy”, Cheick Tidiane Seck joue sur un Moog (le synthé un peu psyché de la B.O. d’Orange Mécanique par exemple). Et il lui a été offert par son ami Damon Albarn. Car le Malien a le carnet d’adresses tellement épais (Stevie Wonder, Wayne Shorter, Jimmy Cliff, Carlos Santana, Archie Shepp, Salif Keita…) qu’il ressemble au Dico d’Or de la Musique. Et malgré tout l’homme comme sa musique transpire l’humilité à chaque instant. Car un grand disque, ce n’est pas toujours une ode au torse bombé. Ça peut être, comme Timbuktu, The Music of Randy Weston, un hymne à la déférence.

SKARBØ SKULEKORPS

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Pile poil quelques jours après avoir fêté son dixième anniversaire à La Dynamo de Banlieues Bleues, le label Hubro nous balance un bijou de disque qui résume parfaitement son esprit défricheur. Dans Skarbø Skolekorps, on trouve de la folk boréale, du post-rock lumineux, de la country détraquée, du free scandinave, de la fanfare de poche, de la pop distinguée, de l’électro artisanale et bien sûr, du jazz de synthèse - et même, sur “Kadó”, une sorte de réjouissant hip-hop sans paroles. Et puis, on y trouve cet esprit de bande qui fait la force de tout bon label qui se respecte: imaginé par le batteur du groupe 1982 (Øyvind Skarbø), ce septet palpitant compte parmi ses membres la pianiste de Moskus (Anja Lauvdal et ses magnifiques solos faussement foutraques) ou le saxophoniste du Trondheim Jazz Orchestra (Eirik Hegdal et ses envolées diablement abrasives), mais aussi des éléments d’univers connexes comme le guitariste de Tonbruket (Johan Lindström et ses fascinantes échappées de steel-guitar).

Mais surtout, et c’est pour ça que ce disque nous a retourné le canal auditif dans le bon sens du son, Skarbø Skolekorps manie l’art du suspense et du rebondissement comme (presque) personne. En neuf pistes, le septet explore non seulement des dizaines et des dizaines de voies esthétiques, mais il se métamorphose constamment à l’intérieur même de ses morceaux dédiés à l’inventeur Nikola Tesla (le très pinkfloydien “1-555-3327”) ou à son ami guitariste Ruben Machtelinckx‎ (l’enveloppant “Lysets Hastighet”). On dit que dans un bon spectacle comique, on doit rire toutes les trente secondes. On peut affirmer que dans un bon disque de jazz, on doit être surpris toutes les trente secondes. Skarbø Skolekorps est donc un très, très, très bon disque. Le jazz lui-même en ressort tout surpris.

"THE GARDEN" DE BRAD MEHLDAU

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Ça y est, Brad Mehldau va enfin donner un successeur au fascinant Taming The Dragon, son disque électro-jazz-rock qu’il avait tissé avec le batteur Mark Guiliana en 2014. Prévu pour le 17 mai, Finding Gabriel comptera pas mal de choses inédites dans la discographie du pianiste le plus copié au monde: une inspiration biblique (Brad Mehldau a toujours parlé de ses influences littéraires et notamment romantiques mais jamais de sa fascination pour les écrivains-prophètes), un coming out vocal (sur Taming The Dragon, on entendait sa voix raconter un rêve, mais jamais pousser la chansonnette) et le synthé Dave Smith/Tom Oberheim OB-6 (on ne sait pas ce que c’est mais apparemment, ça lui a inspiré pas mal de tracks). Bref, un disque un peu perché, bien hybride et blindé d’invités (de Becca Stevens à Kurt Elling ou Chris Cheek). Et surtout un morceau d’ouverture bien mystique: baptisé “The Garden”, il sonne comme un mélange entre le Mehldau-fusion de Mehliana et le Mehldau-symphonique de Largo. Quant à l'apparition divine de la trompette de l’apocalypse d’Ambrose Akinmusire à partir de 4’27, elle va nous faire notre semaine.