Le cinéma auditif de Jaga Jazzist

C’est le transfert de l’été: le collectif norvégien à la croisée du rock progressif, du nu-jazz et de la symphonie électronique a été recruté par Brainfeeder, le label de Flying Lotus, maison-mère de Kamasi Washington, Thundercat ou Louis Cole. Auguste Bergot nous dit tout le bien qu’il pense de leur tout nouvel opus Pyramid.

Jaga Jazzist, c’est un peu comme du cinéma pour les oreilles, il suffit de s’assoir confortablement dans son fauteuil et de laisser son imagination divaguer à la faveur de ces mélodies épiques à la croisée du rock progressif, du nu-jazz et de la symphonie électronique. Le mégagroupe, qui compte aujourd’hui huit membres (sorte de noyau central d’une formation à géométries variables qui a pu réunir par le passé jusqu’à 13 éléments) doit en partie son succès à un cocktail instrumental explosif agrémenté d’effets électro qui jonglent entre l’ambient et la drum & bass. Officiant depuis un peu moins de 30 ans, l’octuor mené par les frères Martin et Lars Horntveth réunit la crème de la crème du jazz expérimental norvégien, bien installée aux côtés de leurs compatriotes Bugge Wesseltoft, Nils Petter Molvaer ou Bobby Hughes Experience. Bref, on a là réuni le fer de lance d’une scène norvégienne en pleine ébullition. 

Ce neuvième album signe les débuts du groupe norvégien au sein du label californien fondé par Flying Lotus, Brainfeeder, après quinze années de loyaux services pour Ninja Tune. Si ce changement de maison de production ne semble pas avoir affecté l’ADN du groupe norvégien et vient plutôt au contraire approfondir ce jazz cinématique qui les caractérise, le processus de composition a quant à lui connu une véritable révolution. Alors que le précédent Starfire avait été le fruit de deux années de travail, Pyramid a été enregistré en deux semaines top chrono à raison de 12 heures par jour reclus dans l’intimité d’un studio suédois niché au fond des bois. 

Cette maïeutique intensive, qui visait selon les dires de Martin Horntveth à ne pas « sur-analyser chaque idée musicale », a donc accouché de ce doux mirage venant rendre plus supportable l’été caniculaire puis indien. Avec ces bâtisseurs de pyramide norvégiens on se retrouve alors avec un alliage du désert d’Egypte et des mystères des Eddas scandinaves : un syncrétisme improbable mais qui donne des élans de fervente piété. Et comme ça ne suffisait pas, “Tomita”, le titre liminaire de l’opus est un hommage au compositeur de musique électronique japonais Isao Tomita, auquel on doit des reprises cosmiques d’un certain nombre de grands classiques (à commencer par Debussy dont il reprend 11 titres dans Snowflakes Are Dancing). Avec de telles fondations, on ne serait pas surpris de voir cette pyramide passer elle aussi à la postérité.