N.Hardem

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Verdor

Un disque qui débute par les mots et la voix de Gil-Scott Heron naît forcément sous une bonne étoile: dès les premières secondes de “Primera Fila”, le poète disparu nous invite à agir ou à la fermer, le droit à la plainte (“The Right To Complain”) très peu pour lui. Se placer sous l’égide de l’auteur de “The Revolution Will Not Be Televised” n’est jamais anodin. Pour le Colombien Nelson Enrique Martinez alias N.Hardem, ça revient à s’inscrire dans la filiation d’un certain hip-hop, un rap gorgé de jazz, de soul et de blues. D’ailleurs, dans l’un des climax de Verdor, “Free Play Aka Orbe”, le garçon sample le guitariste Gábor Szabó et affirme, dans l’un des rares passages en anglais du disque: “I feed on jazz jams or jazz gems” (“je me nourris de jams jazz ou de pépites jazz”).

Et puis, pour ne rien gâcher, c’est sous l’égide d’un autre poète afro-américain que le rappeur-producteur de Bogota place son premier vrai LP: Amiri Baraka. C’est même les seuls mots qu’il choisit pour présenter son album sur Bandcamp: un texte de 1965 baptisé Words qui affirme qu’il faut du temps pour se trouver ('“The purpose of myself has not yet been fulfilled”), qui rappelle que le blanc est la couleur de la peur (“We turn white when we are afraid”) et qui se termine par ces mots: “Nous devons regarder les arbres avec plus d’attention, nous devons écouter” (“We need to look at trees more closely, We need to listen”). Beaucoup de pensées qui résument la démarche du jeune colombien sur ce Verdor: se trouver lui-même.

Ce n’est pas pour rien si le magazine Vice l’a surnommé “le rappeur favori de ton rappeur favori”, une expression lourde de sens puisque c’était celle qui était souvent employée pour parler de MF DOOM.

Cette phrase, “we need to listen”, est donc à prendre au sens fort du terme: N.Hardem fait partie de ces rappeurs qui imaginent davantage leur album comme un tout à écouter de A à Z qu’à une suite de singles aléatoires. Sa personnalité importe moins que sa musique: il ne pose pas sur la pochette de ses disques et se définit sur ses réseaux sociaux comme “un personnage de fiction”. Ce n’est pas pour rien si le magazine Vice l’a surnommé “le rappeur favori de ton rappeur favori”, une expression lourde de sens puisque c’était celle qui était souvent employée pour parler de MF DOOM. Rien que ça. Ni le flow ni le timbre du Colombien n’évoquent le très regretté super-méchant. En revanche, ils ne sont pas sans cumuler quelques points communs: un certain minimalisme, le culte du mystère, l’amour de la couleur verte, une tendresse pour le boom-bap et surtout l’obsession des prods ultra léchées.

C’est sur ce dernier point que ce Verdor impressionne. Habitué des collabs exclusives par le passé (le très beau Cine Negro avec Soul AM ou le très expérimental Rhodesia avec Las Hermanas), N.Hardem s’entoure de toute une clique de talentueux beatmakers pour apporter suspense et diversité à ses tracks. AvenRec, Ruzto ou Alma réussissent parfaitement à offrir des écrins jazz-rap à leur compatriote qui affirme clairement avoir quatre modèles: John Coltrane, Pharoah Sanders, J Dilla et Robert Glasper. Mais le producteur le plus symbolique de ce projet, c’est El Arkeologo, l’alias de Gambeta, l’un des fondateurs du groupe pionnier du rap made in Colombia, Alcolirykoz (“Apolo” et “Virgo” sont d’ailleurs les moments les plus cinématographiques du disque). Pièce maîtresse du rap de Bogota, N.Hardem peut clairement prétendre à étendre son aura sur toute la planète avec ce Verdor vert doré.

Mathieu

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