Mal Devisa

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Wisdom Teeth (Bandcamp)

Chanteuse et multi-instrumentiste profondément underground, Mal Devisa n’a pas de label, pas vraiment une activité débordante sur les réseaux sociaux et ne répond pas aux mails (en tout cas pas aux nôtres). Deux autres indices de son caractère à contre-courant: sa photo de pochette à la limite pixelisée et ce commentaire en lieu et place des traditionnelles infos sur le disque: “Will be working on credits for the next couple of days”. On sent l’artiste qui fait ce qu’elle veut, quand elle veut, avec qui elle veut. Qui ne tente rien n’a rien; qui tente tout, a toute notre admiration.

Car si Wisdom Teeth n’est pas un album “parfait” (le son parfois à l’arrache, les deux derniers morceaux font redondance, certains “bugs” techniques semblent assumés…), c’est surtout un album affolant d’audace. Tout se passe comme si Mal Devisa jouait, chantait, essayait tout ce qui lui passait par la tête. L’album oscille ainsi entre hip-hop, soul, jazz, pop, rock et beatmaking sans transition aucune: l’enchaînement magique “Old Intro”, “Dangerous”, “Standard: You Go To My Head”, “Skyline Arms/Reach Out”, “I Could Tell”, “Loop In 7” suit exactement cet ordre esthétique. Juste déjà pour ces six bijoux Wisdom Teeth vaut le détour.

L’Américaine pourrait être le chainon manquant entre Tracy Chapman et Vince Staples, entre Jeff Buckley et Meshell Ndegeocello, entre Odetta et Nirvana, entre CocoRosie et Frank Ocean.

Et puis au-delà du talent de musicienne, d’autrice et de compositrice de Mal Devisa, on y goûte toute la splendeur de sa palette vocale. L’Américaine pourrait être le chainon manquant entre Tracy Chapman et Vince Staples, entre Jeff Buckley et Meshell Ndegeocello, entre Odetta et Nirvana, entre CocoRosie et Frank Ocean. Déjà sur Kiid, l’album qui l’avait révélée en 2016, Deja Carr (son vrai nom) passait du rock mystique (checkez le frissonnant “Everybody Knows”) au hip-hop hardcore en un instant (allez écouter le furieux “Dominatrix”). Sur Wisdom Teeth, même combat, la voix de Mal Devisa semble capable d’épouser toutes les teintes de la Great Black Music. Et pas seulement, tant la jeune femme dégage aussi une véritable énergie punk.

Le plus fascinant dans tout ça, c’est que Mal Devisa n’est pas seulement une admirable compositrice-bidouilleuse sur disques. À en juger par les quelques vidéos qui trainent sur Internet (celle-ci ou celle-là par exemple), l’Américaine a tout de la show-woman charismatique. Sur sa page Bandcamp, on apprend qu’elle vient d’Amherst dans le Massachusetts. Soit la ville de naissance d’une autre artiste mystérieuse, surdouée et non-conventionnelle: Emily Dickinson. On espère que Mal Devisa ne passera pas sa vie confinée comme la poétesse, on a trop envie de voir un jour le phénomène en concert sur le Vieux Continent.

Mathieu

Photo: Daniel Dorsa

Photo: Daniel Dorsa