Blu & Exile

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Miles: From an Interlude Called Life (Dirty Science/Fat Beats)

Il y a des disques dont la digestion prend un peu plus de temps que d’autres. Parce qu’ils sortent en plein été alors qu’on a la cervelle en RTT. Parce qu’ils sont longs, très longs et qu’il faut de la patience pour en cerner tous les contours. Parce qu’ils ne cherchent pas spécialement à séduire les foules. Troisième véritable album en près de quinze ans pour le binôme Blu & Exile, Miles: From an Interlude Called Life appartient aux trois catégories sus-citées. Sorti en catimini le 22 juillet dernier, il affiche plus de 95 minutes au compteur. Et à l’image de sa pochette sans fleurs ni couronnes, il revendique clairement un rap qui creuse profond vers les racines.

Une philosophie, qui a priori, tranche franchement avec le premier album du duo sorti en 2007, Below The Heavens. Avec sa cover qui ressemblait à une affiche de feel good movie avec Will Smith et son titre qui regardait vers les cieux, le chef-d’oeuvre inaugural de Blu & Exile affichait la naïveté de la jeunesse pendant que Miles respire l’âge de la sagesse. D’ailleurs, le sous-titre du disque ne dit pas autre chose: comme si les deux complices affirmaienbt qu’entre ces deux disques, il s’était passé un petit truc qui veut dire beaucoup: la life, plus communément appelée “vie”. Sur « Show Me The Good Life » en 2007, Blu se mettait dans la peau d’un futur papa; en 2020, il dédie cet album à son fils, Miles Elijah Barnes.

D’où peut-être la mélancolie qui se dégage de certains titres, à commencer par l’émouvant “To The Fall, But Not Forgotten” où le duo rend hommage à tous les grands disparus de l’histoire du rap, de Biggie à ODB. Blu & Exile ont confié qu’ils ont longtemps essayé de faire un album davantage dans l’air du temps, celui de la trap. Mais au final, ils ont renoncé: ce qu’ils savent faire, leur ADN, leurs racines (pour reprendre l’image de la pochette), c’est la traditionnelle formule du beatmaker-producteur fan de jazz associé au MC diariste épris de bon sens. Et dans ce domaine, le duo fait des merveilles.

Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu tout un album de rap déclarer aussi haut, beau et fort sa flamme au bop.

Car bien sûr, au-delà de Miles-le-fils-de-Blu, ce disque est un immense tribute à Miles Davis-le-trompettiste. Et les samples, références et clins d’oeil à l’auteur de Kind of Blue sont légion. Peut-être aussi parce que Blu s’amuse beaucoup avec le mot blue tout au long de ces 95 minutes de jazz-hip-hop pur souche. Et c’est une des raisons pour lesquelles Miles: From an Interlude Called Life nous a tapé dans l’oreille: ça faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu tout un album de rap déclarer aussi haut, beau et fort sa flamme au bop.

Et puis la seconde grande raison qui fait de ce troisième LP de Blu & Exile un disque de la semaine du Grigri, c’est qu’il est pétri d’ambitions, dans le sens le plus noble du terme. Que ce soit dans les constructions des morceaux ou dans leur durée (beaucoup excèdent allègrement les cinq minutes), Miles: From an Interlude Called Life tente, ose, expérimente. Mention spéciale évidement pour les deux titres marqués par la présence du poète Jacinto Rhines: “Roots of Blue” fait 9’19 et “The Feeling” dure 7’35. Déjà pour ces véritables morceaux de bravoure, ce Miles mériterait notre respect gaga. Mais le mieux, c’est que les 80 autres minutes ne manquent pas de classe non plus.

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