L'accordéon prend le pouvoir

On ne va pas se mentir, l’accordéon n’est pas l’instrument à la meilleure réputation de la planète. Et pourtant, c’est un objet aux mille et une ressources qui irrigue et inspire les musiques du monde entier. La preuve avec la scène jazz hexagonale qui continue de lui vouer un beau culte païen. Alice Leclercq nous présente six projets passionnants qui vont en surprendre plus d’un(e).

Pierre Cussac et Fiona Monbet

Pierre Cussac et Fiona Monbet

S’il est un instrument ancré dans la singularité musicale du jazz français, c’est l’accordéon. Il y a bien sûr le duo de Vincent Peirani & Emile Parisien, que le Grigri a mis en valeur récemment mais pour varier les plaisirs il y a quantité de nouvelles formations sur la scène jazz française, mettant à l’honneur une génération d’accordéonistes, au masculin et au féminin. On vous partage les projets de la scène française qui nous chamboulent, qui nous remuent le cœur.

BELLOW SHAKERS

Il s’agit d’un tout nouveau duo formé par Laurent Derache (accordéon) et Franck Camerlynck (batterie). Bellow désigne le soufflet, organe vital de l’accordéon, Shakers, les petits instruments de percussions utilisés pour créer du rythme au sein de la musique. Laurent Derache, on le connait entre autres pour sa collaboration avec Matthieu Chazarenc dans le quartet Canto, sa proximité avec Sébastien Giniaux et Paloma Pradal aussi, ou encore en tant que membre du groupe Rue de Tanger. L'accordéon et la batterie se côtoient depuis toujours dans la musique. Dans les premiers bals, les deux étaient quasiment indissociables, allant même jusqu'à être joués par une seule et même personne (un accordéoniste qui actionnait les divers éléments de batterie par un système de pédales). Aujourd'hui, BellowShakers nous offre leur vision de cette instrumentation originale, au fil des compositions enregistrées sur leur premier EP, sorti le 13 octobre 2020, enregistré au Studio Sequenza (Montreuil - 93) avec Rémi Bourcereau (ingénieur du son de l’accordéoniste Richard Galliano en live et en studio notamment). 

DUO MONBET / CUSSAC

Née d'une rencontre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris en 2015, la collaboration entre Pierre Cussac (l’accordéoniste de l’ONCEIM !) et Fiona Monbet (violon) s’est nourrie du répertoire du XXème siècle et de l'improvisation. Ce duo propose de véritables programmes passerelles où s'illuminent les thèmes classiques les plus célèbres ainsi que leurs propres compositions, l'improvisation servant aussi bien de liant pour amener un morceau à l'autre que de moments musicaux à part entière.  Leur premier album en duo, Course-Poursuite, est donc le reflet de cette recherche : on y retrouve du Ravel, Gershwin, Mahler, Bernstein, Saint-Saëns mais aussi de l'impro et des compositions personnelles... le tout imaginé comme un seul et même moment musical. La sortie de cet album, initialement projetée pour octobre 2020 mais repoussée en raison de la crise sanitaire, est prévue pour le printemps 2021. La suite improvisée autour de West-Side Story fera partie de leur nouvel album :

DUO FINES LAMES

Derrière ce nom de groupe « aiguisé comme une lame, pointu comme un couteau,  chauffé comme une flamme » (!) se trouve un duo d’artistes de Tours, Florent Sepchat (accordéon) et Renaud Debruit (vibraphone, marimba).  Deux instruments polyphoniques se marient dans un duo chambriste, les lames qui vibrent avec l’âme de l’accordéon et les lames frappées du vibraphone. Un format pour le moins atypique : connaissez-vous des pièces écrites pour accordéon et vibraphone ?! Partie prenante au collectif La Saugrenue actif sur Tours, ce tandem de lames sort sur le label Cristal Records un album enregistré en août à Rochefort pensé autour de la musique de Dave Brubeck dont on fête les 100 ans de la naissance en 2020, un pianiste et compositeur américain, notamment célèbre pour sa suite « Time Further Out », qui bousculera la rythmique traditionnelle du jazz. Dans le projet du duo, l’accordéon chromatique, le vibraphone et le marimba ont également le point commun d’être des instruments relativement récents au regard de l’histoire de la musique. L’originalité du duo se situe à la fois dans l’association des claviers percussifs avec l’accordéon et dans leur manière de faire dialoguer leurs instruments avec une exigence d’écriture et d’équilibre.

OUROBOROS

Là on tape dans le dur, dans un format quintet exigeant qui a choisi comme nom celui d’un serpent qui se mord la queue (symbole de l’éternité). Ambre Vuillermoz (si si une jeune femme à l’accordéon, originaire des Alpes de Haute Provence, en résidence à la Cité internationale des Arts de Paris), s’associe à Bruno Ducret (violoncelle), Maëlle Desbrosses (alto), Fred Gastard (saxophones), Maxime Rouayroux (batterie). Un petit orchestre chambriste, bruitiste, ouvert et libéré, né d’une envie de transcender l’opposition musique écrite et musique improvisée. Une réunion d’improvisateurs qui ont basé leur recherche sur la construction d’un discours instantané. Leurs timbres ne cessent de muter dans de longues pièces orchestrales. Leur  premier EP Porte Moi  enregistré par Céline Grangey est disponible depuis décembre 2019.

RHIZOTTOME

Sublime duo déjà mis à l’honneur par Le Grigri, il s’agit de Armelle Dousset (si si, une jeune femme accordéoniste autodidacte) et Matthieu Metzger (saxophones opranino). En herboristerie, leur nom signifie "coupeur de racines" : renouer avec nos racines musicales, proches ou lointaines, y puiser des pas, des airs, des couleurs,  pour jouer avec et mieux s'en défaire. Filant la métaphore jardinière, voici leur Malherbologie imaginaire, un album sorti le 15 octobre 2020 sur le label Nemo Music, science des mauvaises herbes où chaque composition se nourrit du terreau fertile, d’une décennie de rencontres musicales de par le monde. Enorme coup de cœur personnel pour les morceaux « Awawam 78 » et « Vasslim ».

SMOKING MOUSE

Last but not least , notre chouchou, le duo Christophe Girard (accordéon) et Anthony Caillet (euphonium–flugabone), nous font imaginer des histoires sans paroles. Les formes narratives qu’ils nous suggèrent dans leur nouvel album Terracotta, sorti sur leur propre label Babil, se déclinent comme un nuancier de couleurs. « Corail » s’ouvre comme une messe classique,  « Améthyste » met en valeur la douceur de jeu des deux artistes et la caresse qu’ils parviennent à offrir avec leurs timbres.  « Zinzolin » évoque un inquiétant manège déglingué, « Bleu cendre » est porté par la mélancolie poignante du jeu de Christophe. Coup de cœur pour deux pépites de l’album, « Terracotta » et « Collapse ». Dans « Terracotta » Anthony au flugabone expose le thème qui suggère une chevauchée conquérante, et les motifs hypnotiques de Christophe maintiennent une constante tension. Dans « Collapse » les deux artistes donnent une dimension orchestrale à cette suite d’une solennité théâtrale. Se superposent en effet accordéon, saxophones alto, saxophone baryton, trombone joués par Christophe, d’une part, euphonium, baryton, trompette, bugle, sousaphone joués par Anthony, d’autre part. 

Alice Leclercq