Angel Bat Dawid & Tha Brothahood

LIVE, disque de la semaine du Grigri du 30/11 au 06/12


Live (International Anthem)


Incandescent. Il n’y a pas d’autre adjectif pour décrire ce disque. Et encore, le mot “disque” n’est pas tout à fait adéquat. Il faudrait plutôt parler de manifeste sonore, de brûlot jazz, de cri magnifique, de claque black, d’uppercut classe. Même sans connaître son contexte, juste à l’écoute, on sent que sa cheffe d’orchestre a la rage et le blues qui lui gonflent l’âme. Et quand on connaît le chef-d’oeuvre d’Angel Bat Dawid, The Oracle, sorti l’an dernier sur le label International Anthem, découvrir les versions XXL des bouleversants “London” ou “We Are Starzz” est déjà un plaisir majuscule. Sur l’album studio, on avait connu la musicienne de Chicago comme clarinettiste, compositrice, improvisatrice; lors de ces sessions live, on la découvre aussi cantatrice, prêtresse, chaman. Il suffit de l’écouter en Nina Simone free sur l’inaugural “Enlightenment” ou en Odetta mystique sur “Dr. Wattz n’ em angel” pour s’en convaincre.

De par sa ville de naissance, on a souvent rapproché Angel Bat Dawid de l’Art Ensemble of Chicago. Mais sur ce Live, jamais la clarinettiste n’a semblé aussi proche de Sun Ra. Parce qu’elle commence le concert par “Enlightenment” bien sûr. Parce qu’elle signe ce disque sous un nom de groupe “The Brothahood” qui résonne comme son Arkestra à elle. Parce qu’elle ne s’empêche rien et passe en un instant du spiritual jazz au blues, de la messe au bordel, de la raison à la folie. L’exemple le plus frappant, c’est “We Hearby Declare the African Look” plus Sunraesque que Sun Ra lui-même par ses questions-réponses cosmiques, son message afro-futuriste, ses éruptions de cuivres, ses sons de pistolets lasers et même son utilisation du vocoder (un effet que l’homme de Saturne aurait certainement adoré).

En cette année qui est passée de George Floyd à Michel Zecler, ce disque se charge d’une symbolique et d’une puissance impressionnantes

Capté en novembre dernier au Jazzfest Berlin (sauf pour le morceau d’ouverture enregistré à Chicago), ce Live dégage une énergie si spéciale parce qu’Angel Bat Dawid et son groupe ont très mal vécu ce séjour allemand. L’équipe du festival voulait baisser leur cachet parce qu’un musicien (Viktor Le Givens) n’avait pas pu faire le déplacement. Et pour cause: il s’était évanoui en pleine rue avant de se retrouver à l’hôpital dépouillé de toutes ses affaires. Puis, se promenant dans la ville avant le concert, les musiciens de Chicago ont souvent été alpagués par des remarques racistes. Enfin, alors qu’ils séjournaient dans le symbolique Duke Ellington Hotel et qu’ils avaient donc décidé – pour se calmer – de jouer un morceau sur le piano du lieu, un type de la direction est venu les engueuler pour leur demander de cesser ce raffut sur le champ.

Pour Angel Bat Dawid, c’en était trop, elle a explosé. On entend d’ailleurs des extraits de cette colère en début d’album. Ce n’est donc pas pour rien si le Live commence par des Lumières (“Enlightenment”, ce que les Américains pensaient trouver en Europe) pour se terminer sur l’Enfer (“Hell”, des extraits d’une conférence à laquelle Angel Bat Dawid a participé à Berlin). En cette année qui est passée de George Floyd à Michel Zecler, ce disque se charge d’une symbolique et d’une puissance impressionnantes. Entendre Angel Bat Dawid pleurer sur le renversant “Black Family”: “what did we do? what’s wrong with me? you don’t love me! you don’t love my family” s’impose comme une des expériences musicales les plus poignantes de 2020.

Mathieu

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Rappeuse de 24 ans, née à Détroit et installée à Chicago – axe artistique américain doré – débarque avec son premier album MERRY&RUE. Sur des morceaux courts mais percutants , son flow caméléon navigue avec aisance entre de superbes instrus lo-fi, soulful et expérimental. Avec des collaborations de Homeboy Sandman et Vic Spencer, un mixage pour Nolan The Ninja, la jeune MC prouve qu’elle sait bien s’entourer. Une petite bouffée d’air frais rapologique!

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Derrière le rideau de fer, il y avait des chars, des idéaux dévoyés comme des micros planqués — et plus étrange : du jazz. Spirituel, incandescent, mais surtout clandestin. À l’Est, on soufflait dans les saxs comme on lançait des prières ou des pierres, chez soi ou bien loin des spotlights. Behind the Iron Curtain explore un monde verrouillé, où les disques passaient sous le manteau et la liberté vibrait à chaque note. Des Carpates à l’Oural, le jazz comme insoumission, ou comme cheval de Troie — avec des étoiles plein les oreilles.

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