Les disques en boucle #8

THABANG TABANE

En Afrique du Sud, son père était un dieu vivant considéré comme l’un des meilleurs guitaristes du pays et comme le gardien de l’esprit du malombo. Le malombo, c’est quoi? C’est la transe qui accompagne les rites Vanda d’exorcisme et de guérison. Au mitan des années 60, Philip Tabane a “rénové” cette tradition en lui insufflant (notamment) un esprit jazz - ce qui fera dire que l’homme était meilleur que Wes Montgomery et que Miles Davis lui a pompé deux, trois idées. Rien que ça. Mais avant de disparaître en mai dernier à l’âge de 84 ans, “Dr. Malombo” a eu le temps de transmettre son savoir à son fiston percussionniste Thabang. Complice de Sibusile Xaba (présent sur cet album au charme ravageur), le garçon donne à son premier disque le nom de sa grand-mère, Matjale, elle-même guérisseuse traditionnelle. Résultat, en plus d’être entêtant, intense et doté d’un sens du groove tourneboulant, ce disque peut clairement soigner de pas mal de maux. De la spiritual music pour de vrai de chez vrai.

STEFAN SCHULTZE SOLO

Dans l’ADN du Grigri, il y a la prétention de passer des musiques qui ne passent nulle part ailleurs. Parfois, c’est un peu exagéré. Souvent, c’est assez justifié. Mais là avec ce pianiste allemand signé sur le label berlinois WhyPlayJazz, on peut raisonnablement penser qu’on a touché le pactole de la découverte. Déjà parce que c’est plutôt dur de trouver des infos sur ce Stefan Schultze - son site est en allemand et les cours d’allemand tombaient pile poil au collège en même temps que la sieste (pas de bol). Et puis parce qu’à l’écoute de ce System Tribe, on se rend bien compte que le garçon n’est pas facile à catégoriser, ce qui colle à l’esprit Grigri - qui se rapproche souvent de l’esprit Ni-Ni. Tantôt ambianceur minimaliste, tantôt bidouilleur électronique, tour à tour mélodieux au possible et rugueux comme pas possible, il peut évoquer les hypnoses de Nik Bärtsch comme les suspensions d’Arvo Pärt. Bref, il aime bien les trémas, ce qui est plutôt logique pour un Allemand.

THE MODULATORS

Pour aller vite, on pourrait dire que The Modulators = David Lynch + John Zorn. Ce serait accrocheur, mais un poil réducteur tant cet album vaut bien plus qu’une formule magique. Mais expliquons-nous: Brian Marsella est un pianiste américain de la galaxie Tzadik, le label de John Zorn. Pour le premier album de ce nouveau trio (avec Reid Taylor à la basse, Kenny Grohowski à la batterie), il a imaginé un disque complètement cinégénique et gorgé de références à Twin Peaks, la série culte de David Lynch, du rideau rouge de la pochette jusqu’aux titres des morceaux ("TP Is Coming Back In Style"). Et pour ne rien gâcher, l’ambiance de Drivetime doit autant aux guitares lascives du composteur fétiche de Lynch, Angelo Badalamenti, qu’aux guitares surf rock et/ou abrasives des disques de John Zorn. Sauf que, sur les traces de Queen qui affichait fièrement No Synthesisers sur chaque album dans les seventies, Brian Marsella précise sur son Bandcamp qu’aucune guitare n’a été utilisée sur cet album. Ce qui le rend doublement bluffant et très franchement jouissif. Encore mieux qu’une tasse de café.

L'ORANGE & SOLEMN BRIGHAM

Beatmaker américain à l’esprit soul-jazz et à l’alias francophone, L’Orange a toujours le chic pour s’associer à des rappeurs qui le valent bien. Après Kool Keith, Jeremiah Jae ou Mr. Lif. voici donc venu le temps de Solemn Brigham (déjà présent sur un titre de The Ordinary Man l’an dernier). Ils poussent même la collaboration jusqu’à prendre un nom de groupe ensemble, celui du détective privé fétiche de Raymond Chandler, Marlowe. La preuve que le néo-binôme place cet album sous le signe du polar et/ou du film noir. Mission accomplie tant L’Orange a toujours su parfaitement manier les ambiances cinématographiques à grands coups d’interludes bien troussés et de dialogues de films bien sentis. Comme toujours avec le label Mello Music, on navigue ici dans un hip-hop old school tendance nineties clairement assumé. Sur le présentation de l’album, le duo cite Sam Cooke, Ice Cube, Otis Redding, Chuck D, Curtis Mayfield ou KRS-One. On appelle ça avoir du goût. Et les gens de goût ont et auront toujours leur place sur Le Grigri.