Quand Tonie Marshall traînait avec John Zorn

Avec cette sale histoire de virus couronne, la disparition de la réalisatrice, actrice et scénariste Tonie Marshall est presque passée inaperçue. C’est bien triste et on tente de réparer cette injustice en vous racontant l’histoire d’un fascinant disque de jazz avant-gardiste auquel elle a (activement) participé dans les années 1980. Photo: Caroline Forbes/nato

Avec cette sale histoire de virus de pangolin, la disparition de la réalisatrice, actrice et scénariste Tonie Marshall est presque passée inaperçue. C’est bien triste et on tente de réparer cette injustice en vous racontant l’histoire d’un fascinant disque de jazz avant-gardiste auquel elle a activement participé dans les années 1980.

Toni Marshall et Steve Beresford. Photographie Caroline Forbes/nato

Toni Marshall et Steve Beresford. Photographie Caroline Forbes/nato

La seule femme cinéaste à avoir reçu un César (en 2000 pour Vénus beauté (institut)) qui disparaît peu de temps après la très contestable et contestée cérémonie 2020, c’est tout un (triste) symbole. Comme si elle avait décidé de se lever et de se casser pour de bon. Mais saviez-vous que bien avant de devenir réalisatrice et scénariste reconnue par les professionnels de la profession, Tonie Marshall avait connu une éphémère mais fascinante carrière de chanteuse avant-gardiste?

1986. Trois ans avant de réaliser son premier film, Pentimento, Tonie Marshall est alors actrice. Au cinéma, elle a joué pour Jacques Demy, Jean-Claude Brialy ou Claude Zidi. Au théâtre, elle fut la remplaçante de Zézette alias Marie-Anne Chazel dans Le Père Noël est une ordure. Le producteur de disque Jean Rochard la contacte pour savoir si elle accepte de participer un projet très particulier entre (free) jazz et film noir. Le fondateur du label nato venait alors de découvrir sur scène un trio qui l’avait scotché lors d’un festival qu’il avait lui-même organisé quelques mois plus tôt à Chantenay-Villedieu dans la Sarthe. Ce jour-là deux inclassables Anglais, Steve Beresford et David Toop, avaient débarqué avec, dans leurs valises, un jeune saxophoniste presque inconnu, qui faisait là son premier concert en France: John Zorn.

Tonie Marshall accepte le défi et enregistre alors le premier disque de sa vie. Un disque complètement barré et trippant qui annonce les séries de vrais-fausses B.O. imaginaires qui marqueront la carrière de John Zorn. Si Deadly Weapons se présente comme la véritable soundtrack d’un film noir qui n’existe pas, c’est aussi et surtout une magnifique fourre-tout où les quatre complices se permettent tout: Toni Marshall y récite du Francis Ponge, Natacha Michel ou Benjamin Péret avant de rendre hommage à des actrices iconiques comme Maria Montez, Cheng Pei-pei, Tallulah Bankhead ou Jayne Mansfield, tandis que les trois musiciens zappent avec brio entre swing, pop, cold wave, free, blues, ambient ou musique contemporaine. John Zorn, une fois n’est pas coutume se lance même dans un intense solo… de clarinette sur le clair-obscur “Tallulah”.

Disque beaucoup trop en avance sur son temps, Deadly Weapons serait clairement encensé s’il sortait aujourd’hui. Mais c’est le lot des avant-gardes de ne pas être compris par leurs contemporains. Pour le producteur Jean Rochard, ce fut un disque “charnière” dans la vie de son label, nato. Sur son blog, il rend d’ailleurs un bel hommage à Tonie Marshall: “Venue dans notre histoire par le biais d’un rêve, elle fut celle qui nous offrit nos premiers ponts réels avec le cinéma”. Le coup de foudre fut réciproque puisque trois ans plus tard, la comédienne demandera à Steve Beresford de composer la B.O. de son premier film. Et si Deadly Weapons avait déclenché ou confirmé la vocation de la première femme césarisée?

Mathieu Durand

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